M. Porret: Les sphères du pénal

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Titel
Les sphères du pénal avec Michel Foucault.


Herausgeber
Porret, Michel; Cicchini, Marco
Reihe
Collection Histoire
Erschienen
Lausanne 2007: Editions Antipodes
Anzahl Seiten
303 S.
Preis
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Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Elisabeth Salvi

En 1988, l’historien du droit Mario Sbriccoli ouvre un nouveau chantier expérimental sur les usages sociaux de la justice inspirés par Foucault ; dans un article paru dans la revue Studi storici, il propose de distinguer l’histoire de la criminalité et l’histoire de la justice criminelle et suggère de mieux explorer les interactions entre comportements criminels, institutions judiciaires et répression.

En étroit partenariat avec l’International Association for the History of Crime and Criminal Justice (IAHCC), Marco Cicchini et Michel Porret, directeurs de l’ouvrage collectif issu du colloque qui s’est tenu à Genève les 23-25 février 2006, rassemblent ici dix-huit historiens et sociologues pour penser Surveiller et punir à l’aune de leurs travaux scientifiques. En relevant le défi de Mario Sbriccoli, ils ont organisé l’ouvrage en trois parties et proposent en premier lieu d’explorer les champs problématiques parcourus par Michel Foucault. Pierre Lascoumes et Jean-François Bert interrogent la métaphore de la société disciplinée que le philosophe perçoit entre l’émergence d’une rationalité politique à l’aube du XIXe siècle, incarnée par la mise en place de la prison qui «capture » le corps et celle de l’atelier qui le fait travailler. Pour Cyprian Blamires, cette perception peut difficilement être envisagée dans le cas du Panoptique de Jeremy Bentham, ce dernier pouvant être pensé comme une technique architecturale applicable à tous les établissements de surveillance. Par contre, Philippe Combessie défend l’acuité critique du philosophe français dont les travaux représentent selon lui la clé de voûte d’une analyse globale engagée par Émile Durkheim et Paul Fauconnet. En effet, en dénonçant la prison contemporaine comme une institution totalitaire impuissante à corriger ou à prévenir la récidive, Foucault anticipe la dérive carcérale de ces trente dernières années où la peine de mort est remplacée par un renforcement de la prison de haute sécurité.

Le deuxième axe de l’ouvrage tend à rendre compte des chantiers ouverts dans le creuset de Surveiller et punir et plus particulièrement autour du corps supplicié. Patrice Peveri revendique une histoire de la marque judiciaire pour montrer qu’elle est surtout un moyen, depuis l’Antiquité, pour détecter les récidivistes; en amont, il illustre la manière dont la flétrissure identifie l’individu par son crime, au XVIIIe siècle. Il nuance la vision de Foucault qui perçoit dans la marque infamante l’expression même de la perpétuation de la douleur d’un corps dans lequel s’inscrirait l’essence du pouvoir politique et moderne. Aux premières pages de Surveiller et punir, la torture infligée au régicide Damiens illustrerait ainsi l’anachronisme suppliciaire avant la Révolution, alors que Michel Porret rappelle le mouvement de modération qui, après 1750, sécularise le droit de punir. A son tour, Léon Loiseau rappelle la littérature réformiste des Lumières qui ne cesse de réclamer une taxinomie du crime dont l’expression la plus aboutie s’incarne dans les traités de Daniel Jousse et de Muyart de Vouglans. À travers la république en devenir, Jean-Lucien Sanchez illustre les expériences répressives du XIXe siècle pour réinsérer les criminels récidivistes; il interroge la loi du 27mai 1885 (loi sur la relégation des récidivistes) afin d’exposer les paradoxes du discours républicain qui, tout en prônant une régénération possible des récidivistes exilés, légitime l’exclusion sociale de ses ressortissants. Laurence Guignard rappelle aussi que la rationalité réclamée par Michel Foucault s’inscrit bien dans le Code pénal de 1791, lequel préconise «un système de peines tarifées en fonction de la qualification des faits et non de la ‹moralité› de leur auteur». Elle démontre que la notion d’irresponsabilité introduite dans le code pénal français de 1994 est marquée par une forte présence de la psychiatrie dans l’institution judiciaire. Ce terme permet de penser la «justice subjective et des peines individualisées» et signe l’abandon d’une justice morale et rétributive dont l’application influencera encore tout le XIXe siècle.

Enfin, la troisième partie de ce recueil interroge les pratiques actuelles du droit de punir à travers l’incarcération et la sécurité assurée par le personnel carcéral (Gaëtan Cliquennois). Gilles Chantraine montre que le projet disciplinaire décrypté par Foucault a subi des évolutions importantes: en témoignent la démarche institutionnelle visant à promouvoir l’autonomie et la responsabilité de l’incarcéré plutôt que d’imposer des mesures disciplinaires. Philippe Milburn démontre que la réparation ou la composition pénales inscrivent désormais la société civile au coeur de ce nouveau processus. Quant à Irène Becci, elle réfléchit sur l’ingérence religieuse dans la prison, alors que Noëlle Languin, Christian-Nils Robert et Jean Kellerhals s’appuient sur une relecture empirique de Surveiller et punir pour évaluer le mode de construction et l’image de la «juste sanction» dans les mentalités.

À l’heure où l’insécurité mobilise l’opinion publique et où certains prônent toujours l’élimination des grands criminels, Les sphères du pénal avec Michel Foucault rappellent la profondeur historique d’un débat révélateur des mutations profondes de la société contemporaine et dresse un bilan critique de l’actualité de Surveiller et punir. L’ouvrage constitue aussi un instrument précieux pour élargir la relation entre pouvoir et répression à celle de la responsabilité léguée à la société civile.

Citation:
Elisabeth Salvi: compte rendu de: Marco Cicchini, Michel Porret (dir.), Les sphères du pénal avec Michel Foucault, Lausanne: Ed. Antipodes, Collection Histoire, 2007, 303 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 116, 2008, p.276-277.

Redaktion
Veröffentlicht am
13.04.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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